Je ne sais plus quand a été découverte l’Amérique. J’étais encore très jeune. Il me souvient le nom d’un navigateur de je ne sais où, un certain Amérigo Vespucci. Il a laissé son nom à un continent, quelle gloire ! Mais, j’ai lu ou entendu des conférenciers dire que quelques autres navigateurs avaient laissé leurs voiles les porter jusque-là. Mais quand nous utilisons le vocable découvrir l’Amérique, nous devrions avoir la simple modestie de préciser : par des Européens. Des autochtones vivaient ici, soit dans leur tranquillité de vie soit dans leurs conflits de voisinage. Beaucoup d’entre eux ont été détruits par des Européens qui venaient avec tant de gentillesse leur apporter leur culture, leurs microbes, leur imposer leur religion et bien sûr profiter des richesses agricoles et minières que le pays possédait. Bon, mon esprit s’égare sur les chemins où la seule belle humanité est celle que l’on admire dans le miroir de sa salle de bains.

Soit. Je reprends le doux plaisir de parler de quelqu’un que j’aime bien. Hier, j’ai découvert l’Amérique. Celle du sud, puisque j’avais déjà eu l’honneur d’aller visiter les Ricains du nord. Après quatre jours de navigation au milieu de l’océan atlantique, jours de bonheur intense entre ciel et mer, nous nous sommes rapprochés de la côte pour aborder à Salvador de Bahia. J’avais été informé que l’heure d’arrivée serait matinale. Je me suis levé tôt. À cinq heures du matin, en vigie sur le haut balcon à l’avant de la nef qui me portait, je scrutai l’horizon. Accroché à mon cou, l’équipement minimal du néo-explorateur : boussole, jumelles et appareil photo peu de nuages, un air tropical déjà chaud le soleil a sauté à pieds joints la ligne d’horizon il colorait le ciel à l’est, mais mon centre d’intérêt était à l’ouest, je l’ai délaissé

À un moment, surprise attendue : un trait entre ciel et mer qui s’épaissit prémisse de la terre espérée? Campé sur mes deux pieds, droits comme un homme qui ne connait pas l’arthrose, j’ai visé cet horizon un peu flou avec mes jumelles de marine collées sur le bout de mon regard je crois qu’à ce moment, en toute immodestie, j’ai crié : terre ! Oh, je n’ai pas crié trop fort pour ne pas déranger les gens de la cabine d’à côté, qui dormaient indifférents au miracle présent je venais de voir l’Amérique, celle du sud, la plus belle. Je suis resté plus d’une heure à regarder cet horizon se préciser et s’imposer à ma vue je regardais, essayant de comprendre ce que contenait cette ligne qui s’épaississait

Était-ce la jungle peuplée d’animaux féroces qui attendaient les passagers du bateau comme des croquettes apéritives ? Était-ce la forêt amazonienne, enfin un reste non détruit ni brulé ? J’ai réglé la mise au point de mes jumelles et j’ai vu une forêt. Une forêt d’immeubles, de buildings si hauts, qu’ils grattaient le ciel. J’ai été un peu déçu. Mais, puisque l’Amérique que je découvrais était comme ça, je la prendrais comme ça.

Longtemps j’ai suivi l’avance du bateau avec le décor de la ville qui se précisait. J’ai admiré la grande courbe que la trajectoire du bateau a dessinée sur l’océan pour entrer dans une baie immense comme une mer. J’ai regardé, j’ai observé les dizaines de gros bateaux de transport qui, en attente, avaient posé leur ancre dans la baie. J’ai regardé tous les petits bateaux de ces pêcheurs qui venaient extraire de l’océan des langoustes destinées à des gens plus aisés qu’eux. Ils étaient deux, parfois trois sur de petites embarcations, points dérisoires sur l’océan. Quelques-uns étaient solitaires, le moyen de propulsion de leur esquif étant limité à deux rames. À la fin de notre courbe, le port était là, des hommes sur le quai, nous étions attendus. La ville de Salvador était juste devant moi. Je venais de découvrir l’Amérique !

Tout devenait précis. Le quartier de buildings rutilants. Les maisons colorées qui s’accrochent aux collines pentues, les favelas. Sans bruit le bateau s’est collé contre le quai. Sans bruit, il a été amarré. J’étais en Amérique !

Quelques formalités pour sortir du bateau et rejoindre l’un des cinquante autocars qui attendaient les passagers que le bateau régurgitait. Porte ouverte du bateau, petite et courte passerelle. Mon pied s’est posé sur le sol bétonné. J’étais sur le sol de l’Amérique du Sud ! Olé ! Le guide de l’autocar n° 49, excellent francophone et amoureux fier de son pays, nous parle, nous montre tout ce qui est beau. Souvent, mon regard se détourne de la vision proposée pour regarder ailleurs des immeubles plus délabrés. Ici tout existe, tout se mélange. Les fraiches hordes de touristes accouchées des bateaux sont attendues dans les rues par les petits vendeurs qui, gentils prédateurs, harcèlent sans cesse, sachant qu’il leur faut mille échecs pour un petit succès. Visite du Mercato Modèlo. Quel beau nom ! Ici chacun peut y trouver tout ce dont il n’a pas besoin. La visite se continue jusqu’au phare et ses plages. D’un côté, celle étroite et enrochée où s’entassent les familles pour ce dimanche ensoleillé. De l’autre côté, du phare, la plage est plus large, horriblement couverte de parasols bleus. Je souris à la pensée que certains sont obligés de payer pour être du côté le moins joli. Puis, l’extraordinaire balade dans les rues de la vieille ville. Le guide nous entraine dans la visite d’une grande église qui a la particularité d’avoir un intérieur très complexe recouvert d’or. Il nous explique que les pauvres du quartier étaient invités là pour recevoir un peu de pain. Quel bonheur devaient avoir ces pauvres gens d’être invités à contempler autant de richesses que possédait cette église. Il est vrai que Salvador ne possède que 166 églises.

Fatigués, nous rentrons à la maison (c’est notre nouvelle expression !) Douche, regard sur la côte qui s’éloigne. Le bateau s’éloigne de la baie, son clignotant droit s’allume, nous tournons vers le sud. Rio prépare-toi, nous arrivons.

 

© Pierre Delphin

 

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