Dans nos bavardages entre amis, il est fréquent que l’on émette des vœux. Le plus souvent, nous répétons des formules que nous avons entendues à notre égard ou que nous avons déjà utilisées pour d’autres. Finalement, ces formules sont en collection réduite : je te souhaite une bonne journée, une belle soirée. Amusez-vous bien, est une formule de prélude à un moment agréable. Faite un bon voyage est une formule qui va de soi pour ceux qui s’éloignent. Il me semble l’avoir entendue il y a peu de temps. J’effleure à peine les : bonne année, bonne santé qui sentent l’usure du temps.

Je suis comme tout le monde, j’utilise volontiers ces formules qui ont l’avantage de montrer à mes interlocuteurs l’intérêt que je porte à ce qui va se passer pour eux. J’aime, pour mon côté original, utiliser des formules que je fais miennes : soyez heureux, allez en paix. Cette dernière, je l’aime bien, je la trouve même fondamentale. Mais voilà, elle a été utilisée dans des contextes œcuméniques qui sont bien éloignés de mes pensées. Je peux même vous souhaiter de l’amour, une belle santé, de l’argent à condition qu’il ne vous rende pas stupide. Aujourd’hui, j’ai seulement envie de vous souhaiter d’être en paix.

Alors, imaginez que vous avez en main vos soucis affectifs, de santé, d’argent. Passez derrière la porte, voyez les petites patères. Accrochez fermement tous ces soucis, tournez-leur le dos, frottez-vous les mains, sifflez un petit air qui vous plait et souriez. Alors, allez en paix !

Ces élucubrations sur la paix sont bien évidemment influencées par notre entrée sur l’océan pacifique. L’océan de la paix. À l’heure de cette écriture, nous sommes dans son infini. Il est calme, il est en paix, pacifique. Seules parfois, quelques fleurs blanches décorent la crête des petites vagues. Ce matin, près du bateau, des jets se sont élancés vers le ciel. Sans doute des baleines qui avaient filtré du plancton et qui expiaient leur surplus d’eau par leurs évents. Il ne peut avoir de plus doux paysages, dans l’harmonie, ici tout est en paix.

Dans cette équanimité, affleurent dans ma mémoire les images de la fin de journée d’hier. Les nuages qui avaient décoré le ciel tout l’après-midi venaient de s’estomper, de se disloquer. Derrière un survivant gris clair, une grande lumière. Le soleil partait vers le couchant rejoindre la mer. L’air était froid, producteur de l’angine que je soigne aujourd’hui. Peu importe, le spectacle de clôture de la journée était là. Dans la magie du moment, le grand disque solaire a glissé sur le flanc d’une ile montagneuse avant de se perdre dans la mer afin qu’il puisse éclairer d’autres peuples, d’autres continents. Il ne nous restait plus que la douce amitié de ces belles relations que nous pouvons créer lors d’une croisière. Ensemble, nous étions en paix.

Cette soirée mettait fin à une après-midi de grand gala. Les acteurs étaient les iles, les montagnes. Nous sommes entrés dans l’océan de la paix par une petite porte, étroite. Un dédale de fjords, d’iles aux sommets élancés, une absence totale de vie humaine. Face à nous, il y a toujours une montagne arrogante qui fait face au bateau. Mais par où allons-nous passer ? Au dernier moment, il prend à droite, vire à gauche, évite les écueils, trouve le passage. Stupéfaction, le bateau ralenti, s’arrête, nous sommes dans une impasse. Erreur de pilotage ? Que nenni ! Devant nous, majestueux, un immense glacier vient se perdre dans l’eau salée. Une merveille de la nature. Ce détour, cette impasse, c’était un cadeau de notre capitaine. Les appareils photo crépitent, des ho, des ha ponctuent le silence. Aucun opéra, aucun théâtre ne peut offrir ce décor, nous l’avons eu. Merci. En regardant longuement ce paysage, j’aurais aimé entendre de la musique. Pourquoi pas la suite de jazz de Chostakovitch que j’écoute en écrivant ? Cette musique aurait complété l’harmonie de douceur et d’énergie qu’évoquait ce lieu. Les blocs de glace qui flottaient autour de nous étaient trop petits pour penser au Titanic, juste suffisants pour quelques plaisanteries en clin d’œil. Fin de séance. Le Magnifica fait un demi-tour sur place en respectant le silence, la paix de cet endroit.

Notre route continue, nous filons vers le Nord, vers la chaleur. Ici, même en été, le climat est agressif pour mes vieilles bronches fragiles. En fin de journée, nous entrerons dans d’autres fjords, nous zigzaguerons entre d’autres iles, ce bonheur se continue, se perpétue. Demain, tôt le matin, nous rejoindrons au fond d’une baie la petite ville portuaire de Puerto Montt, nous serons toujours au Chili. Autre lieu, autres paysages, la cordillère surveillera nos pas sur ce nouveau territoire.

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’Annie. Elle est belle à regarder lorsqu’un coude sur le bastingage, ses yeux s’ouvrent sur la beauté d’un espace qui s’offre à elle comme un cadeau de circonstance. Souvent, ses lèvres dessinent un sourire pour dire le bonheur d’être là, ensemble, en paix.

 

© Pierre Delphin – jeudi 6 février 2020.

 

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