Ce matin, comme souvent après une nuit douce et tranquille, des notes de musique me trottaient dans la tête. C’est le moment heureux du réveil, prélude d’une belle journée. Une chansonnette s’est imposée sans être invitée. Je l’avais chantée en chorale il y a bien longtemps. Je n’en ai retenu que les premiers vers et la mélodie. À l’instant où j’écris, j’ai oublié le nom de l’auteur, mais la première phrase dit : « Fait du feu dans la cheminée, je reviens chez nous ». J’en aime les mots, j’en aime le sens. Le besoin de rentrer chez soi, le besoin de cette chaleur, de retrouver le lieu où l’on existe. De tout temps, j’ai aimé partir, bouger. J’ai aimé voyager, découvrir. Ma vie professionnelle a été jalonnée de voyages, de beaucoup de voyages, de trop de voyages. Encore aujourd’hui, quand nous partons rejoindre notre petit appartement méditerranéen, mon cœur est en émoi du bonheur d’aller retrouver cet endroit où dans l’étroitesse du lieu, nous vivons les journées fleurs de notre vie. Une semaine plus tard, l’émotion revient quand je remets le bagage dans la voiture pour aller retrouver notre maison de la région lyonnaise, nos voisins, nos fleurs, les enfants. Les bonheurs du changement.

Nous sommes partis dans notre tour du monde voilà 12 semaines. Si l’on suit le calendrier prévisionnel, il reste encore 5 semaines à vivre dans ce beau bateau. Je dois bien l’avouer, je pense de temps en temps à la maison, au jardin où le printemps se fait sans moi. Je n’ai pu, cette année, saluer l’arrivée des jonquilles, des narcisses, des muscaris. Savez-vous qu’il faut savoir parler tous les jours à son jardin ? Le féliciter lorsque les plantes s’épanouissent dans la beauté. Le gronder lorsque la pousse est paresseuse. Vivre avec lui. Oh, ne tirez pas la conclusion que je m’ennuie sur mon palace flottant. Que nenni ! Même sans les escales, la vie reste agréable, animée ou calme selon nos envies. Ici, je suis sur l’un des ponts supérieurs. J’entends des bribes de musiques, des parlottes de-ci de-là. Le bateau est immobile dans la baie de Fremantle. Ces derniers jours, nous étions dans l’inconnu. Journées que certains vivaient dans l’angoisse de l’immobilité, d’autres dans une excitation du non-savoir. J’ai vécu ces jours dans l’oxymore d’une excitation sereine. J’ai regardé dans le ciel les nuages qui passaient, les jeux des dauphins le long du bateau et toutes les belles animations destinées à pacifier ce temps d’attente.

Dans cette période de sombres difficultés que le monde vit, les prévisions peuvent évoluer d’un instant à l’autre. Alors, il convient d’être prudent dans leur analyse. La trace écrite dans ce cahier ne sera peut-être plus valide lors de la publication de cet article. Des informations sont venues esquisser notre avenir à court terme. En principe, j’ai bien dit en principe, nous devrions relever l’ancre, mettre les moteurs en action et naviguer vers le nord dès cet après-midi. Comme il est 10h30 au cadran de ma montre, cela est dans peu de temps. Je me retrouve donc dans mon excitation d’un départ. Le bonheur d’aller voir comment est le ciel un peu plus loin. J’ai dit vers le nord, pas vers le nord-ouest qui était le projet antérieur. Nous devrions aller à Colombo, mais ce ne sera pas une escale, puisque les croisiéristes sont bannis dans tous les ports. Notre commandant doit connaitre là-bas un pompiste et un épicier pour recharger les cales du navire et nous permettre de continuer notre route en sécurité. Ensuite, le projet de route serait de nous conduire à Marseille. Mais les projets d’aujourd’hui ne sont que des évocations d’intentions. D’ailleurs, il reste une belle inconnue à notre arrivée. Quel sera l’état de la réglementation sur la circulation des personnes ? L’évocation pessimiste indique que peut-être personne n’aura l’autorisation de venir nous chercher. Et nous, comment pourrons-nous circuler jusqu’à notre maison avec nos 150 kilos de bagages ? Encore le bonheur de l’inconnu. Mais l’évocation optimiste me chuchote au creux de l’oreille qu’il y aura quelque chose que personne ne connait aujourd’hui, et qui réglera le problème avec simplicité.

Alors, je pourrai dire, une fleur du printemps entre les dents, je reviens chez nous. Mais j’ai fait dire au commandant que compte tenu des circonstances, nous ne sommes pas trop pressés.

 

 

© Pierre Delphin – dimanche 29 mars 2020

 

Barge de ravitaillement-