Sur le fauteuil du balcon, je suis de nouveau face à la mer, comme si cette position m’était prédestinée. Face à la mer. La mer est calme, couleur marine. Le ciel est bleu comme doit-être le ciel. Les nuages sont blancs sans agressivité d’orage. Tout est en place. Toutes les huit secondes, j’entends le bruit de la vague que l’étrave du bateau tranche dans l’océan.

Hier, en fin de journée, à l’heure où la nuit venait nous envelopper, le bateau a quitté le port de Funchal sur l’ile de Madère. Direction sud-ouest, la prochaine étape sera l’ile des Barbades au sud de la Caraïbe. Cinq mille kilomètres de parcours à vitesse lente. L’océan Atlantique est calme, une surface unie à peine tâchée de crêtes d’écume. La ligne d’horizon est nette, bien définie, où l’on perçoit à peine l’incurvation terrestre. Moment étrange, où dans le mouvement du bateau, tout semble immobile. Relativité de l’espace et de l’instant où la vie s’apaise. Lorsque la vague a signé son passage par son bruit humide, les quelques secondes de silence qui suivent sont une attente de la prochaine vague. Ainsi va le temps.

Cinq jours à vivre dans cet espace que certains perçoivent comme vide, mais qui pour moi est chargé de toutes les images que mon esprit veut bien y poser. C’est un tableau de Soulage. Le premier regard n’y voit que l’uniformité. Puis, petit à petit l’esprit s’adapte, s’accroche à un relief, aux lignes. La perception devient évocation, l’évocation se détache de la toile et pénètre dans l’intime de notre esprit. Mon regard sur la mer est peut-être fantaisiste, hasardeux, mais c’est lui qui s’installe dans ma perception et me permet de guider ma plume sur la page blanche de mon carnet.

Une croisière, je l’ai sans doute déjà dit, ce sont plusieurs voyages qui cohabitent. Ne faites pas de croisière en ne pensant qu’aux escales que vous allez découvrir. Pour cela, prenez l’avion ! Ainsi, le voyage n’a que peu d’intérêt ; parfois même, il est une contrainte. Seul importe le point de départ et le point d’arrivée. Sur la mer, tout est différent, l’important, c’est le voyage, le regard que l’on porte sur l’océan. L’escale est en plus, comme une récompense. L’escale, c’est voir que la mer est la même ici que là-bas. C’est voir que le ciel, bleu ou gris est presque identique. Mais, la ville où nous posons les pieds est différente, les gens sont différents, la vie est différente. Puis, après quelques pas, lorsque le regard s’habitue à ce nouvel environnement, nous constatons avec bonheur les similitudes dans nos différences. Les humains sont variés comme les nuages dans le ciel, en fait, ils sont tous semblables.

Aujourd’hui, demain, après-demain, nous n’approcherons de rien. Le bateau est seul au milieu de l’océan Atlantique. Entouré de mes amis, je suis seul à regarder la mer. Cette mer que j’ai enfin retrouvée.

 

Pierre Delphin – mercredi 11 janvier 2023