Pour nous, aujourd’hui Pacifique est le nom d’un océan. Toute une vie, j’ai pensé à lui comme un endroit inaccessible, un endroit si loin de moi que seuls mes rêves pouvaient s’en approcher. C’est formidable les rêves, ils vont là où notre imagination les guide. Il en est ainsi de certains lieux dans le monde que je perçois hors de ma portée parce que trop loin, trop difficile, trop cher. Il a toujours un trop qui freine mes élans, même si j’essaie de les faire tomber dans le puits des possibles. J’ai souvent rêvé de l’océan Pacifique, aujourd’hui, par le bonheur de ma vie, je suis en plein milieu de cet océan. Mais l’océan n’a pas de milieu, ce n’est qu’une surface dans son immensité. Je ne suis qu’une particule sur une ile petite, dans un archipel petit. Honolulu n’est pas une très grande ville, à peine jolie dans son assemblage de très modernes tours et de bâtiments plus anciens. Au-delà du port, l’océan, la ligne d’horizon, l’infini du rêve dans lequel je suis. Quel bonheur d’être dans un rêve et de rester conscient !
Je ne suis qu’un, au milieu d’une multitude à aimer voyager. Mais, que vais-je, qu’allons-nous chercher au-delà de notre ligne d’horizon ? De nouvelles perles, de nouveaux trésors, des épices comme nos précurseurs ancestraux ? Que sont pour moi les épices que rapportait Marco Polo. Quels nouveaux exhausteurs du goût de la vie ai-je besoin ? Ce sont ces images mentales qui se fixent dans ma mémoire. Ce sont aussi ces senteurs que je rapporte dans les zones sensibles de mon olfactif et les sons, les musiques entendues au coin d’une rue. L’épice aux odeurs sucrées sera peut-être le regard de cet enfant qui m’a souri ou celui de sa mère, fière que je regarde son enfant avec mes yeux de grand-père bienveillant. Mais, ce que je recherche dans ces grands voyages, ce ne sont pas seulement les éléments extérieurs que mes sens perçoivent. Ma recherche est aussi en moi, dans mes émotions, dans les bonheurs des rencontres. Dans le regard même que je porte sur le monde et qui évolue au passage de chaque vague océanique. Le bonheur d’un voyage sur l’océan Pacifique, c’est de retrouver ce calme intérieur qui m’a tant manqué au cours de ma vie. Ce n’est peut-être pas la zénitude prêchée par les maitres orientaux. C’est une paix qui m’appartient et qui n’est pas cessible.
Sur l’océan Pacifique, les iles ne sont que les pointes émergentes des volcans. Le résultat tangible des soubresauts de notre planète. Les volcans sont à l’image des entités humaines. Il y a les ancêtres, les anciens, les actifs, les plus jeunes en devenir. Leurs souffles sont la respiration de la terre, ils ne sont pas à notre échelle, c’est pour cela qu’ils nous font peur. C’est pour cela que nous aimons, dans les périodes où ils sont assagis, nous approcher de leur gueule, comme pour défier le sort. Cette peur que nous ressentons face à eux se dissipe vite parce que nous ne la situons pas dans l’instant. Nos vraies craintes sont pour de évènements dont nous percevons la probabilité dans un futur proche. Alors, ce volcan, nous le regardons de loin comme un ennemi que l’on toise. Il attendra bien notre départ pour exploser.
À l’heure où je continue cette écriture, nous sommes repartis d’Honolulu. Ma foi, l’océan Pacifique est … pacifique. De petites vagues donnent un léger balancement au bateau. C’est une berceuse qui pour moi est un enchantement, et qui m’apaise. À quelques pas de moi, Leandro, le pianiste de l’orchestre classique joue tranquillement. Il prépare un prochain concert sur le thème de Vienne, Mozart sera au programme avec la marche turque. Avoir des concerts de grande qualité lorsque le bateau glisse sur les eaux calmes de l’océan. Avoir à côté de moi la femme que j’aime. Avoir autour de moi des amis que j’apprécie. Il me faut savoir dans ces moments de plénitude, vider son cerveau de tous les encombrants pour laisser de la place à la beauté des sentiments que j’éprouve.
Pacifique est l’océan. Pacifique est mon âme qui au fil des vagues lâche les contraintes et les amertumes emmagasinées ces derniers mois. Pacifique dans le langage, dans le regard porté sur les autres. Un grand voyage sur cet océan peut-il apporter la paix ? J’en rêve en écrivant. Quel ancrage, quelle trace laissera-t-il de manière indélébile dans notre esprit ? Pendant quelques minutes ce matin, j’ai ouvert les informations sur le téléviseur. J’ai entendu des choses tellement tristes sur les relations entre les pays que j’ai appuyé sur la touche Off. Je suis retourné dans mon rêve de paix. Je suis conscient de rêver, surtout ne me réveillez pas !
Pierre Delphin - février 2023